Wilfried Enault résistant et héro inconnu de la Seconde Guerre mondiale
Le nom de Wilfried ENALUT ne dit sans doute rien au lecteur de ce blog, et pourtant il mériterait de figurer au Panthéon des Réunionnais connus pour leur action durant la guerre. Son nom est totalement tombé dans l'oubli, tout ce que nous conservons de l'action de cet homme se résume à des documents administratifs et une seule photographie connue à ce jour. Cet article est l'occasion de mettre en lumière une figure réunionnaise de la Seconde Guerre mondiale, tombée totalement dans l'oubli.
Wilfried, Julien, Aurélien ENAULT est né le 29 juin 1898 à Saint-Denis. Il est mobilisé durant la Première Guerre mondiale et quitte l’île de La Réunion pour se battre sur le front métropolitain. A la fin du conflit, il choisi de rejoindre définitivement la carrière des armes en devenant militaire de carrière. Il sert en outre-mer mais retourne en France dans les années 30. Le 17 mai 1931, il épouse Suzanne OLIVIER à Fontaine-Lès-Luxueil (Haute-Savoie), qui est la mère de sa fille, Claude naît le 11 février 1931.
Documents d'homologation pour service dans les F.F.I, établies après guerre
Source: SHD Vincennes
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Wilfried ENAULT sert comme adjudant-chef au sein du 23e Régiment d’Infanterie Coloniale (23e R.I.C). Il sera fait prisonnier par la Wehrmacht durant les combats de la campagne de France et envoyé en captivité en Allemagne, puis en france au fronstallag 133. Dans le cadre de la collaboration du régime de Vichy avec l’Allemagne nazie, Wilfried ENAULT bénéficie d’une libération au titre de son passé d’ancien combattant dans la guerre 1914-1918. Il est donc de retour à Paris au début de l’année 1941. A sa libération, il réintègre l’armée est sert comme sous-officier comptable puis en qualité de commis aux écritures au Centre de Libération des Prisonniers de Guerre.
En septembre 1941, il rejoint les rangs de la Résistance intérieure française, au moment où celle-ci commence à se structurer et où son action prend une ampleur de plus en plus importante. Wilfried ENAULTL est contacté par un certain Monsieur Stéphane et intègre le réseau de l’Armée des Volontaires.Ce réseau est l’un des premiers véritables réseaux parisiens, fondé début octobre 1940. On y retrouve des grands noms de la Résistance comme Charles Domergue André Donnay, Adrien dit Marcel Lamboley ou Charles Deguy.Wilfried ENAULT assure au sein de l’organisation des missions d’agent de liaison, il est également dépositaire et en charge de la diffusion du journal clandestin « Pantagruel » dans le 13e arrondissement parisien.
Les activités de l’Armée des volontaires ne passent malheureusement pas inaperçu de l’occupant et de ses collaborateurs français. Dès avril 1941, ils entreprennent le démantélement du réseau. Une première vague d’arrestation qui s’échelonne d’avril à novembre 1941 conduit à l’arrestation des fondateurs du mouvement mais aussi des frères René et Robert Blanc en charge de l’impression de « Pantagruel ». Dans ce climat de répression et d’arrestation, Wilfried ENAULTt échappe pour un temps aux Allemands, cependant l’arrestation des frères Blancs a sans doute resserrer l’emprise autour des membres du mouvement en charge de la diffusion du journal clandestin. En janvier 1942, débute une seconde vague d’arrestation à laquelle il n’échappera pas.
Le 17 janvier 1942 vers 15h, des Allemands en uniforme arrivent en voiture au 23 rue Pascal dans le 5e arrondissement, précisément là où réside Wilfried ENAULT. D’après le témoignage d’un voisin, ils montent directement au domicile de Wilfried ENAULT mais trouve à ce moment porte close et l’appartement vide. Les soldats allemands interrogent alors un garagiste et voisin, Georges MAUSSANG, sur le lieu où pourrait se trouver le résistant. Le garagiste refuse de les renseigner et affirme qu’il ignore tout de là où pourrait se trouver Wilfried ENAULT. Pendant cet interrogatoire, son associé M. Bernard tente de prévenir Mme ENAULT et son mari de la présence des Allemands à leur domicile. M. BERNARD téléphone ainsi au Service des prisonniers de guerre, rue de Liège, pour tenter de le prévenir que les Allemands sont à sa recherche, mais Wilfried ENAULT a déjà quitté son lieu de travail. Dans ses tentatives désespérées pour avertir Wilfried ENAULT du piège qui l’attend, il se rend à l’arrêt d’autobus où il doit descendre sans se rendre compte qu’il est suivi par les Allemands. A sa descente de l’autobus, le sort du Réunionnais est scellé, il est immédiatement arrêté par les soldats allemands. Ils l’entraînent alors à son domicile qui est perquisitionné et emmené à 19h pour être enfermé à la prison de Fresnes.
A partir de ce moment on perd sa trace, tout juste sait on qu’il est déporté en Allemagne, sûrement dans un convoi du 9 octobre 1942 qui voit 45 résistants de l’Armée des Volontaires être déportés. En conformité avec les directives "Nacht und Nebel" édictées par le maréchal Keitel au sujet des déportés politiques originaires d’Europe occidentale Wilfried ENAULT doit disparaître corps et bien. Il est présumé disparu puis mort dans l’univers concentrationnaire nazie le 7 mai 1943, au camp d'Hinzert près de Hermeskeil en Allemagne. Des démarches après guerre verront une validation de ses services dans la Résistance intérieure française et la reconnaissance de son gade F.F.I de sous-lieutenant, mais sans qu’un hommage local ou national ne lui soit rendu.
C’est sans aucun doute cette disparition soudaine dans les camps de concentration qui explique que cette figure réunionnaise de la Résistance ne soit pas connue de la mémoire et de l’espace public réunionnais. Contrairement à Jean JOLY ou Teddy PIAT qui sont revenus vivants de Mauthausen, Wilfried ENAULT n’a pas eu cette chance et a été condamné à l’oubli. Il est par exemple frappant qu’au moment où j’écris ces lignes , l’article wikipedia consacré à Jean JOLY (consulté en janvier 2025) affirme que lui et Teddy PIAT sont les deux seuls Réunionnais déportés durant la Seconde Guerre mondiale. On retrouve aussi cette affirmation historiquement fausse dans des articles de presse librement accessible au public. Cet article est donc une mince mais nécessaire contribution à la mémoire d’un Réunionnais et d’un résistant au service de la France.
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